Le chant lyrique, entre art et authenticité

Par Benjamin Grenard, le 20/01/2015

Le chant lyrique est un exemple particulièrement intéressant de puissance et de richesse sonore. Il constitue une référence primordiale pour la Pneumaphonie, Serge Wilfart ayant mis au point sa méthode en tant que chanteur lyrique. Il n’empêche que si certains chanteurs respectent scrupuleusement leur géométrie vocale, d’autres sont plus souples à cet égard. Dans ce rapport délicat entre art et authenticité, il convient de savoir exactement ce que l’on fait.

Richard Wagner

Richard Wagner

Lorsqu’un chanteur utilise sa voix de manière saine, la voix évolue naturellement au fil de sa carrière mais vieillit peu. C’est ainsi que l’on peut observer de longues carrières, y compris dans des répertoires pourtant exigeants qui supposent endurance et puissance, à l’image du chant wagnérien. La matière première du cri qui se fait chant trouve ainsi son apogée chez Wagner et dans certaines œuvres de Richard Strauss. L’opéra y renoue avec les forces telluriques de la mythologie et c’est probablement dans ces répertoires que l’on trouve les voix les plus fascinantes, à condition qu’elles y soient utilisées sainement.

Mais c’est aussi dans le chant lyrique, où le rapport souffle/voix se doit d’être d’une précision extrême, que l’on observe des carrières brisées, prématurément écourtées.

De surcroît, l’exigence artistique constitue un danger réel pour le chanteur, où celui-ci risque de favoriser l’exactitude et l’efficacité musicale au détriment de son authenticité vocale. Il est donc impératif pour un chanteur de respecter sa voix, en choisissant un répertoire adapté à sa géométrie vocale. Une fois ce choix fait, interpréter le texte doit également se faire avec la conscience aiguë de cette même logique, cette même géométrie vocale.

Si l’on se place du point de vue de la stricte authenticité vocale, les chanteurs recourent parfois à des artifices pour arriver à leurs fins expressives ; cela dit, plus ils sont conscients et maîtres de ce qu’ils font, mieux ils sont à même de prévenir les problèmes vocaux.

Les chanteurs et les écoles s’avèrent plus ou moins puristes sur la conduite de la voix. Fritz Wunderlich est l’exemple d’une voix parfaitement conduite, qui s’attache à respecter sa géométrie naturelle : c’est une voix sur le fil qui s’efforce de ne pas tricher. L’ensemble de la tessiture est parfaitement construit et cohérent à partir d’un noyau central. L’école allemande s’attache souvent à une technique sinon orthodoxe, du moins exigeante. On le retrouve ici sur scène dans un extrait de La Flûte Enchantée de Mozart, avec comme à son habitude, un timbre lumineux et un rayonnement tout apollinien. Il donne l’illustration d’une vocalité scrupuleuse et éminemment musicale au timbre raffiné.

Ce choix de conduite vocale contraste avec l’exemple d’Alain Vanzo, immense chanteur également, dans ce célèbre air issu des Pêcheurs de Perles de Bizet. Vanzo privilégie ici une voix mixte appuyée, allégeant l’émission pour obtenir une couleur entre voix de tête et voix de poitrine. Le timbre est aussi lumineux mais l’ensemble sonne davantage en haut du corps. En résulte une voix charmeuse entre toutes, avec un côté légèrement androgyne qui identifie un jeune homme dans toute sa fraîcheur : une manière de profiler le personnage qui a, dans l’opéra, toute sa place d’un point de vue psychologique. C’est un choix qui lui permet aussi de jouer clairement sur la délicatesse des nuances proposées par le compositeur. Un enregistrement mythique au charme impérissable…

Du point de vue de l’authenticité et donc de la santé vocale, c’est un jeu qui pourrait être dangereux pour bien des chanteurs : conserver l’enracinement et le fil de la voix est indispensable à la bonne charpente d’une voix. Toutefois, Vanzo manie ici cette technique avec beaucoup d’art, voire, il en joue : à l’évidence, il savait ce qu’il faisait et il arrive à conserver toute la richesse de sa voix, sa rondeur, même si le grave, indispensable à la fondation d’un son, paraît partiellement gommé. Par ailleurs, Vanzo était cependant tout à fait capable de maintenir l’enracinement et la verticalité de sa voix.

Wunderlich n’aurait certainement pas chanté cet air de la même manière. Affaire de style et d’école sans doute, mais pas seulement : le ténor allemand privilégie la conduite vocale tandis que Vanzo préfère profiler le personnage d’un point de vue psychologique.

C’est une des grandes difficultés et une gageure du chanteur lyrique : incarner un personnage en respectant la logique de sa voix, elle-même témoignage de son être intime.