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Témoignage sur le Souffle-Voix

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Une Voix pour la reine de la nuit

Par Benjamin Grenard, le 19/02/2015

Rôle mythique et exigeant, voire périlleux, la Reine de la Nuit pousse les limites de la vocalité à l’extrême, si bien qu’il devient particulièrement difficile à distribuer. Analyse de quelques chanteuses parmi une pléthore dans ce rôle.

Si le chant lyrique se doit de tenir toujours le fil entre art et authenticité, il est des écritures particulièrement exigeantes et difficiles à interpréter, où conserver la vérité vocale est une véritable gageure. Pour un chanteur lyrique, rester dans un répertoire qui respecte sa voix est une donnée aussi essentielle à gérer que périlleuse.

D’autant qu’il n’est pas rare que les compositeurs aient écrit un rôle en pensant à un interprète particulier, en tenant compte de son potentiel vocal. Et comme il n’existe pas deux voix semblables, s’adapter parfaitement à un personnage autant qu’à une écriture représente un moment aussi rare que privilégié.

On ne saura jamais quelle a été la voix de Josepha Hofer pour laquelle Mozart a écrit le rôle de la Reine de la Nuit. Toujours est-il que dans le célèbre Der Hölle Rache, les vocalises ne sont pas nécessairement le seul problème.

Il est intéressant de noter que les contemporains parlaient d’une voix approximative en évoquant la voix de Josepha Hofer. Si le terme employé ne l’est pas moins, il peut laisser supposer que le matériau vocal de la créatrice ne s’avérait pas d’une grande unité et que la tessiture n’était pas solidement construite autour d’une même couleur vocale, d’un même noyau. Il n’est d’ailleurs pas improbable que Mozart ait d’ailleurs exploité les faiblesses vocales de la créatrice pour en tirer une vraie valeur psychologique, artistique dans le cadre de cet opéra.

Quoi qu’il en soit, ce rôle hystérique suppose non seulement une grande agilité vocale mais aussi une voix avec du corps, voire des tripes, qui rendent justice à la puissance du personnage.

La Reine de la Nuit de Lucia Popp, sous la direction de Klemperer, est un modèle de vocalité saine : rondeur, homogénéité du timbre sur les vocalises comme sur le reste de l’air, couleur rayonnante. On sent une respiration posée et maîtrisée qui ferait presque passer l’hystérie du personnage au second plan. Une des grandes réussites de Lucia Popp est de pouvoir chanter l’air d’une seule et même voix, d’afficher cette belle unité vocale sans jamais perdre la rondeur et le rayonnement du son, quelle que soit l’écriture. Il s’agit indubitablement d’une Reine de la Nuit à la voix claire, presque solaire, et parfaitement maîtrisée.

Patricia Petibon choisit une interprétation plus enflammée, plus dramatique. Elle chante d’une voix plus large, plus sombre aussi, profitant non seulement d’un diapason à 415, mais jouant aussi clairement la carte d’un dramatisme et d’une flamme bienvenus. Cette vision engagée et survoltée convient parfaitement à l’hystérie de l’air. Mais la chanteuse ne garde pas réellement son unité vocale et a tendance à alléger sur les passages coloratures, alors que le reste laisse supposer une voix plus large : l’unité de la matière vocale n’est pas réellement trouvée, ici, dans cette interprétation qui reste de grande qualité par son engagement et ses qualités musicales.

On terminera ce court aperçu par Cristina Deutekom. La chanteuse néerlandaise réussit la difficile synthèse de la cohérence, de l’unité vocale et du profil atypique de la Reine de la Nuit. D’une projection puissante, d’une agilité impressionnante, cette voix, parfois presque brute de décoffrage, fascine par son envergure. Le corps de la voix apparaît toujours bien charpenté jusque dans les vocalises. L’autorité de la Reine de la Nuit, ici inflexible, se dégage par la présence et la statique physique de la chanteuse. Si la prise de son n’est probablement pas simultanée à la vidéo, la bande audio conforte cette sensation d’enracinement et de présence, loin de l’agitation de Patricia Petibon. Quoi qu’il en soit, une interprète incontournable dont nous livrons ici une vidéo, mais dont on n’hésitera pas à aller écouter les différentes versions sur youtube.